Armures, de Stéphanie Hochet
Ou comment régler ses comptes avec ses géniteurs avec l’aide de Jeanne d’Arc et Gilles de Rais. Forcément, ça détonne. Et comme c’est plutôt réussi et captivant, ça donne envie d’en lire plus.
Je rembobine. Comme souvent chez moi, c’est en regardant La Grande Librairie en avril dernier - avec Stéphanie Hochet pour son dernier roman Armures, donc - que cette idée de lecture m’est venue. Parce qu’il y est question de Moyen Age et que je trouvais l’approche de l’autrice; à savoir combler les “trous” dans la biographie de Jeanne d’Arc par une fiction plausible, me semblait intéressante. Les ouvrages, les émissions de radio ou de télévision sur Jeanne d’Arc, et la récupération politique aussi, hélas, sont légion et passer par la fiction pour évoquer ce personnage à la fois mystérieux et extraordinaire est un biais justifiable et digne d’intérêt selon moi. Je suis par ailleurs de ceux qui pensent le Jeanne d’Arc de Luc Besson est tout à fait honorable.
Armures démarre au galop, au propre comme au figuré. Dès la première page, le lecteur suit Jeanne sur un destrier. Puis, dans les chapitres suivants, on observe son enfance, son adolescence, sa grande piété, son exaltation, ses débuts de guerrière (le fameux épisode de Chinon ne manque pas), le tout raconté tambour battant avec force de détails qui témoignent d’une recherche et d’une documentation fouillées. La fiction sert à dépeindre une Jeanne exaltée, forte tête et déterminée mais aussi parfois démunie quand on l’insulte, mais aussi à décrire sa très forte et très chaste relation avec son frère d’armes Gilles de Rais. Ce noble, guerrier de la Guerre de Cent ans, mais aussi abominable criminel pédophile, devient alors la figure centrale du récit, permettant à l’autrice de raconter, en miroir, une partie de son enfance et de son adolescence au sein d’une famille dysfonctionnelle.
Je ne suis pas une grande fan de “l’autofiction” et j’ai plutôt tendance à fuir ces livres qui, en règle générale, ne m’apportent pas grand chose, voire m’ennuient. Or là, j’ai été convaincue par la sincérité assez brutale de l’autrice, le portrait peu flatteur et sans ambages qu’elle fait de certains membres de sa famille, véritables ogres détruisant les enfants autour d’eux. Tout comme ce Gilles de Rais qui fascine/répulse l’autrice depuis longtemps. Avec un tel personnage pour référence, l’autrice ne fait évidemment pas de cadeau à son entourage; tout comme Hervé Bazin avant elle dans Vipère au poing ou Hervé Guibert dans Mes Parents. Ces récits d’enfants devenus grands me touchent car ils appuient exactement là où ça fait mal. On les fait souvent lire aux jeunes adolescents mais il pourrait être utile de glisser ces livres dans la besace de certains parents. J’essaye par ailleurs de faire preuve d’humilité et ai aussi, bien sûr, lu Armures en tant que maman qui se questionne (beaucoup).
L'entremêlement du récit historique, ou romancé pour combler les “trous” laissés par les archives, aux mots de l’autrice sur sa famille malveillante fonctionne bien, et nous offre un roman singulier, âpre parfois (lire le martyr d’enfants, même survenu il y a des siècles, est éprouvant) mais à la lecture très fluide. Une très belle découverte qui donne envie de lire d’autres romans de Stéphanie Hochet.