Amormina B, de Frédéric Roussel

L’écriture de ce billet s’est nourrie de questions. En vrac: de quel objet littéraire s’agit-il? Un roman illustré? Un roman graphique? Mais y a-t-il une différence entre les deux? Est-ce de la prose ou est-ce écrit en vers libres ? C’est la réponse B, sans mauvais jeu de mot, selon Le Soir. Et que veut dire “Amormina”? Amor = amour, fastoche, et mina = la mine? La mine de l’amour? Hum, pas sûr…Et le nom du héros, Léo Bakst, n’a pas pu être choisi par hasard! D’où vient ce nom? Zéphyr, dans l’Antiquité grecque, c’était bien le nom d’un vent (pas d’un soleil), non?

Mais, je m’égare. D’abord, le pitch. Léo Bakst, donc, scientifique qui aspire à s’extraire du monde des humains où il ne sent pas à sa place, accepte une mission sur Amormina B, planète lointaine éclairée par un petit soleil, Zéphyria, qu’il devra explorer seul. Envouté par cette planète a priori inhospitalière (il y fait très froid et il lui faut un masque à oxygène lors de ses sorties), fasciné par un volcan éloigné, Bakst se lance dans son exploration au péril de sa vie, y fait une découverte bouleversante pour l’humanité et déterminante pour lui.

Après les fascinantes Indian Creek Chronicles, de Pete Fromm, Amormina B est le deuxième récit d’un homme seul au monde qu’il m’est donné de lire. Dans ces deux histoires se retrouvent un univers a priori hostile, une quête existentielle ou encore des explorations toujours plus audacieuses nourrissant la fascination des héros pour leur nouveau territoire, auquel ils s’adaptent peu à peu. Bien entendu là où Pete Fromm nous emmenait aux confins du Montana et de l’Idaho (sur terre, donc), Frédéric Roussel nous invite à suivre les tribulations d’un ermite en scaphandre qui trouve une réponse à sa crise existentielle sur une planète imaginaire. Par ailleurs, alors que Pete Fromm se nourrit de certaines interactions avec des chasseurs ou se réjouit de retrouver ses amis, Léo Bakst est non seulement dans la quête de lui-même, mais aussi, m’a-t-il semblé, dans le rejet de l’humanité et la misanthropie. Le constat est dur pour les congénères de ce héros solitaires; mais il faut bien admettre que l’actualité lui donne souvent raison.

Pour répondre à une de mes nombreuses questions provoquées par ce récit mystérieux, je suis partie sur la piste de la figure de l’ermite, que l’on retrouve dans la Bible ou dans d’autres religions (Siddhârta Gauthama, a vécu en ermite, non? Ma parole: que de questions!). La réponse se trouvait-elle dans le nom si original du héros? Pas vraiment. Léon Bakst, de son vrai nom Leyb-Khaim Izrailevich Rosenberg, était artiste peintre, créateur et fut directeur artistiques des Ballets russes de 1909 à 1914 (voir sa biographie sur le site du Victoria & Albert Museum où certaines de ses créations sont exposées. En outre, l’Opéra de Paris, pour lequel il a également travaillé, lui a consacré une exposition). Dans la biographie de cet homme de talent polyvalent, je n’ai trouvé aucun épisode de sa vie où il aurait vécu reclus, aucun épisode de dépression. Cette fausse piste a toute de même eu le mérite de me faire découvrir un grand artiste qui, je suppose, suscite l’admiration de l’auteur.

Puis, à un moment donné, il m’a semblé juste (et aussi reposant, je dois dire!), d’arrêter de sur-analyser le texte avec mes maigres outils et de me demander si, oui ou non, j’avais aimé ce roman? C’est assez rare que j’y prête attention et que je l’écrive mais ce livre en tant qu’”objet” est magnifique: papier ultra agréable, couverture illustrée et ouvragée qui nous plonge dans un ailleurs déjà en librairie. Un très beau livre. Les dessins de l’auteur ne se contentent pas d’illustrer le propos mais se fondent dans le récit, ce que j’ai troivé remarquable. Par ailleurs, alors que je n’avais pas du tout aimé La Petite Bonne et la langue hachée du récit qui m’avait vraiment perturbée, j’ai eu l’impression retrouver une jolie et récente traduction en vers de L’Illiade en lisant Amormina B. Cette écriture en vers libres, fluide, hypnotique, sert le récit et sied parfaitement à cette quête de soi. Toutefois, ma volonté de tout comprendre -très certainement immature - s’est un peu trop heurté à des mystères non résolus alors qu’il s’agit peut-être juste de ressentir? Je dois manquer d’entrainement. Mais je conseillerais ce livre aux lecteurs férus de science-fiction ou aux personnes qui se cherchent.

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Bruxelles, de Daphné Tamage